Mais qui est cet ami Moreu dont parle Cécile 0dartchenko
?
Un éléphant ? Une tortue ? Une abeille ou un
aigle royal ? Un être adhérant à la terre,
lourd et lent sur une terre qu'il imite: un être « dont
le visage plein de rides / est une campagne à lui tout
seul » ? Ou alors un être léger, volant: un
rapace au-dessus des steppes protégeant les fous de Bassan
?
Sur la première page du poème, les verbes dont
il est le sujet se succèdent : « Tu sais... », « Tu
connais... », « Tu es... ». Ce qui signifie
que la science du minéral et la connaissance du végétal
font l'existence, sont les deux conditions nécessaires à la
vie, à une vraie vie, la vie de l'animal Moreu qui « butine », « mâche » et
tout aussi bien « rêve ». Bel insecte, infatigable
reptile, éblouissant oiseau ou homme saisissant « l'aimée
[... ] entre (s)es bras », l'ami Moreu appartient à toutes
les sortes de vie pourvu que s'y révèle le « mystère
de la richesse sans fond ».
Et Cécile 0dartchenko en fait même un être
surnaturel, un génie, un « Aladin des matins du
monde et des nuits », découvreur de trésors
qui « se dégustent comme de longs baisers ».
Elle en fait même une rivière avec sa source, ses
berges, ses rives, ses courants, de sorte que, au bout de la
métaphore, on puisse y prendre « le bain d'amour ».
Car fondamentalement, animal, végétal ou minéral,
l'ami Moreu, au contraire des « coffres de banque » et
des « nappes phréatiques », est intarissable.
Il est celui dont « l'atelier ne désemplit pas »,
dont « l'eau coule » sans cesse. Et ses poèmes,
ses dessins et ses toiles sont évoqués, par l'écriture
de Cécile 0dartchenko, avec le lexique d'un aquaculteur
- le poème y est une nasse, le dessin un filet et les
toiles des plages.
L'ami Moreu est un être universel. Il est de tous temps
puisqu'il a « tenu les outils de jardin depuis des millénaires » ;
il est de tous lieux, également amateur des sabots de
Lorraine et des yourtes d'Asie centrale. Il sait, il connait,
il est.
Et dans ses images faites de mots, Cécile 0dartchenko
cherche la beauté des couleurs du peintre, du « transformateur
magique » qui jamais ne s'appauvrit. L'éventail
du vocabulaire cherche « l'éventail de (s)es palettes » :
il est alors question de « frayères gaies »,
de « sequins brillants » , des « limoneuses
baragouineuses », des « Ogotomelis des greniers »,
autant de raretés, de perles découvertes dans le
trésor de la caverne d'Aladin- Dans les dernières
lignes du poème, les « chenilles (sont) en cheville » et
les « diasporas diaprées » : l'amie 0dartchenko
fait aussi bien que René Moreu, en magnifique couseuse
de mots, en grande spécialiste des « points de Bergame
et (d)es dentelles Chantilly ». En grande amoureuse de
la vie qui, elle aussi, sait, connaît, est la vie.
Jean-Louis Rambour