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Ça ressemble à une vie

Une critique de Jacques Demarcq pour le cahier critique de poésie
(CIPM de Marseille)

Un roman bref, vif synopsis : trente-trois séquences de moins d'une page, à deux exceptions près. Dans une langue nette, d'une pudeur tranchante. L'histoire d'un voisin menuisier, dans un village du Beauvaisis. Un premier fils, qui sera instit. La guerre, l'occupation, puis un second, simplet. La menuiserie se modernise. Une bibliothèque, un jour, chez une cliente, qui lui prête un livre, et devient sa maîtresse. L'épouse s'en va. Sept ans après, elle meurt d'un cancer. Retour de l'ado attardé chez le père vieillissant. Qui vend son entreprise, s'occupe de son fils. Arrivée du narrateur, qui se prend d'affection pour le simple et l'homme aux deux amours. C'est tout. Mais dans une prose versifiée de blancs qu'aurait adorée Cendrars : "on parle souvent ensemble / complicité / et puis dans la semaine il est seul / passé soixante-dix même si je les fais pas / photos / photos et silences / Marthe et… il l'appelle la dame / ces deux femmes je n'en ai mérité aucune.

Jacques Demarcq


Une critique de François Huglo

Mieux qu’un recueil, il s’agit d’un montage serré de plans-séquences, d’un grand film où flash-back après flash-back sont enfilées des perles de temps, précipités de sensations, d’émotions, indissociables. Ou bien chaque poème serait un recueil de « choses humaines », comme disait l’autre, « copeaux ô l’odeur trouble des femmes », nids de silences chauds, sensibles, tissés par les mots, la mise en pages, la ponctuation, les parenthèses, crochets, italiques. Ce qui vaut d’être ainsi sauvegardé ? L’amour. Un accouchement. La guerre : « ramper dans cette merde froide ». « Adieu tristesse / bonjour tristesse » (Paul Eluard). Le fiston, en centre spécialisé, apprend à lire. Il dessine le chat. Attaque. Cardio. La jeunesse par Aznavour. Le fils peint. « Les oiseaux c’est des rêves (il dit) ». Il admire Miro, Matisse. Encore un livre, un sourire. La chatte. Pudeur ? « La tendresse même ». Jusque dans le récit de la mort du père.

François Huglo


Une critique de Jean-Louis Rambour

C’est l’histoire d’une rencontre. Parce que les arbres fruitiers dans le jardin de la nouvelle maison qu’on emménage sont à tailler et que le voisin sait y faire. La rencontre a lieu à la page 21. Il se trouve que le type sous sa casquette - et, au bec, la cigarette -, est un ancien menuisier : les arbres ça le connaît. Louis Even, donc, le père de David le simplet et de Martin le doué, le grand-père de Cédric et d’une fille sans nom (une coquine, on en sait assez), le monsieur aux deux femmes qu’il n’a pas méritées, cette Marthe qui partit un jour discrètement et mourut encore plus discrètement de son cancer à elle et puis, l’autre, celle de Bonjour Tristesse, lui Louis qui en était resté à Saint-Ex. Et qui va mourir à son tour. Une attaque, comme on dit. Il en a connu d’autres, des attaques, celles des "vert-de-gris" quand il était petit, celles pendant "la guerre loin", en Algérie ? en Indochine ? Partout où c’est loin et qu’il y a de la guerre. Mais là, l’attaque, page 32, elle ne pardonne pas : c’est celle qui vous fait tomber de la chaise. Définitivement. Et tout ça pour une affaire d’arbres fruitiers à tailler.

Voilà où nous mène Roger Wallet. Dans une poésie pleine de chair, pleine de vie, une vie entière - commencée évidemment bien avant qu’on ne la croise -, une vie entière racontée. Et pourtant il fait tout pour en dire le moins possible, il économise les verbes, les présentatifs, les articles, les guillemets, les majuscules, les compléments qu’il se contente d’annoncer par leur préposition, ça suffit bien : il fait celui qui n’est pas là à écrire. Ce sont des groupes de mots comme des légendes pour photos et la vie vient au bas de chaque page, elle s’introduit dans les points de suspension, dans les sous-entendus, les ellipses. Et on se prend à faire les gestes qui illustreraient la partition proposée. Oui, les gestes remplacent la structure grammaticale, on est dans l’oral et la poésie de Roger Wallet se lit donc aussi avec les mains. On aime Louis et ses amours, Marthe et ses douleurs, David et ses tableaux en acrylique, Aznavour écouté à pleine force dans la Scénic ; on a envie de goûter un Carl Upmann, de prendre le champagne offert aux ouvriers, de ressortir le vieux tôlé qui pourrit dans la remise et de lire (enfin) Sagan. Le poème de Roger Wallet est la biographie d’un homme, d’une époque. C’est le poème d’un homme qui aime.

Jean-Louis Rambour