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DES VANNEAUX

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Cours toujours

Dans son très bel article sur la poésie (Quinzaine littéraire d'octobre), Alain Joubert, à notre grand plaisir, prend la peine d'affirmer que la poésie n'est pas seulement affaire de poèmes, mais qu'elle est tout simplement un regard posé sur le monde, sur la vie, l'amour et le merveilleux qui leur fait cortège, qu'elle est affaire de vertige — il dit de l'inconscient. Vertige des mots, vertiges des corps, sans doute toujours mus par des émotions qui viennent de loin.
Voici un livre, un petit chef d'œuvre venu bien à propos confirmer ce témoignage qui se positionne à contre-courant du « dessèchement absolu obtenu par la raréfaction des mots — très tendance- —, ne laissant deviner que le squelette d'une poésie dont la chair, aussi faible soit-elle, a pris la poudre d'escampette pour aller respirer ailleurs... »
Le petit livre dont je parle (j'en suis l'éditrice heureuse), vient de tomber au saut du lit, il le fallait concernant l'auteur, qui est l'habitué des aurores. Cours toujours est issu de la plume de Michel Volkovitch, authentique marathonien.
Voilà, d'un bout à l'autre, le corps interrogé et poussé aux limites : pour savoir jusqu'où on peut aller.
Il faut suivre M.V. dans ses courses et ses quasi-envols (« on sait qu'on ne s'envolera pas, mais on a l'espoir de voler presque, de se rapprocher du miracle encore un peu plus ») pour comprendre ses autres livres et travaux.
Chez Nadeau : Le bout du monde à Neuilly-Plaisance, une exploration fouillée de la banlieue parisienne, comme l'amant peut fouiller, à en perdre la raison, le corps d'une femme aimée.
La banlieue est un corps et toute la campagne et la montagne explorées à force de courir, naturellement, ce qu’il préfère ce sont les montagnes russes, ce qui monte, descend, mais seulement pour remonter encore, toujours à l'assaut d'une pente.
C'est donc posé, on aime courir pour se dépasser et on aime ce dépassement jusqu'à l'ivresse comme on aime la (les) femme(s).
Elles sont aussi convoquées dans le deuxième livre de M.V., Transports solitaires. Il y est question de voyages en métro (il faut aller au bahut où il est prof d'anglais, adoré de ses élèves qui le trouvent si beau !), mais vers le milieu du livre, le propos est dévié et c'est de chants d'amour qu'il s'agit. Aux oreilles de M.V. qui a été aussi musicien, rien ne semble plus agréable que ces explosions sonores de joie, de couples qui font l'amour.
Musique de l'Eros divin.
Musique qu'on retrouve dans Cours toujours :
« On est rarement seul dans ces envolées. On parle dans sa barbe ; tout ce flot de paroles que la course libère, faute d'interlocuteur, se tourne vers quelqu'un. Souvent, courant seul dans les banlieues endormies ou dans les forêts glacées, j'ai invoqué une bien-aimée lointaine ou indifférente, je lui dédiais, lui offrais mon effort, courir c'était courir vers elle, les côtes me semblaient autant d'épreuves, d'obstacles à franchir pour la rejoindre et l'émouvoir enfin, et je m'élançais plein d'une fureur joyeuse, toute fatigue balayée, criant un jour, je crois, dix et vingt fois un nom aimé dans l'aube d'hiver, sûr d'être entendu enfin, sûr pour une heure ou deux de faire basculer, rien qu'en courant, mon destin".
« ...ce martèlement binaire qui portait nos foulées bien accordées, nos respirations en chœur, nos variations sans fin, nos andantes, nos prestos finaux, c'était de la musique ».
La musique, il en est imprégné. Il a, dans une autre vie, pratiqué plusieurs instruments.
Et puis, ne se croyant pas assez doué, il a abandonné.
Pour la course aussi il ne pense pas être de l'étoffe des champions.
Et pour l'écrit?
Chez Nadeau toujours, deux livres encore, Verbier et Coups de langue témoignent de sa virtuosité et de sa passion pour les langues, les surprises (Oulipo n'est pas loin, Leiris non plus), la langue anglaise, Lewis Caroll, ses rebondissements à tiroirs, son humour bondissant, humour qu'il pratique avec les ados à l'esprit vif (ados.com), il faut être avec eux plus rapide que l'éclair et savoir dégainer, il sait. Il n'y a qu'à aller voir son site.
Bon, on est heureux déjà, voilà un homme qui se met dans le bain, tout corps, tout flamme. Et c'est beau comme la poésie.
Mais je n'ai pas tout dit.
A ceux qui le découvrent, il faut révéler aussi que M.V. EST l'époux magnifique de la poésie, la poésie grecque naturellement, sa préférée qu'il traduit depuis 25 ans.
Qu'il ait privilégié la Grèce et sa poésie ne doit étonner personne puisqu'en somme, il est descendu pour notre plus grand bonheur de l'Olympe.
Et si vous n'écoutez que votre plaisir et gémissez déjà en refermant le livre parce que vous en voulez encore, je vous rassure, vous allez très vite avoir ses souvenirs d'enfance, et quelques clés bien sûr (inconscient oblige) d'un comportement aussi rare qu'exemplaire : Eden et environs sortira en mars 2012.
Et puis des Grecs, encore des Grecs aux Vanneaux, qui lui donnent carte blanche.
Une telle générosité de sa part (seuls les dieux en sont capables, qui ont les moyens des plus grandes largesses) devait rencontrer la plus grande ouverture et un bonheur sans conditions.
Et ne vous fiez pas aux dernières pages du livre : M.V. n'est pas vieux, il ne le sera jamais, il s’entraîne tous les jours et le dimanche, sorti à l'aube, court quatre heures d'affilée.

Cécile Odartchenko
octobre 2011