Extraits
Paul Fleury, Flux sur un échiquier
« Franchissement de l’aube »
Toute écriture de fondation
anticipe le champ
de ses métamorphoses
loin – jusqu’à s’éblouir
dans l’éclair soudain de sa joie.
La vérité fulgure en l’espace d’un
jeu
clos – qui n’est pas encore.
Le poème lancé en avant
ne quitte son lieu sûr
son erre
que pour la case d’un damier blanc.
Son erre devient errance.
Il y repose en paix, il n’est déjà plus !
Le jeu n’est pas dans la topique
mais dans le bond,
tout entier contenu dans ses déplacements.
Pour dominer l’âme du jeu,
il faut user plusieurs damiers,
postuler plusieurs dames
agir et mourir debout.
Les cases de l’échiquier ne suffisent pas.
Il faut un chiffre infini,
– une aube franchie pas à pas.
L’incertitude peut y loger sans armes,
la terre y cède au fleuve ouvert à tous les vents
et parfois se confie au feu du mascaret.
Jean-Louis Rambour, La nuit revenante, la nuit
Car nous avons aussi nos corps bruts,
nos ossements de grands déserts,
nos points cardinaux joués aux dès,
nos va-et-vient, nos balances,
nos verres vides à une table où l’on attend
la chance,
nos confusions entretenues par des chandelles,
nos grilles où s’accrocher pour faire des soleils.
Dans ce moment je perds mon sang et recense les chardons et
toutes les métaphores depuis les origines du monde,
question de malgré tout se désaltérer
et dégager du silence une longue phase béante.
Car
nous avons aussi nos malheurs,
nos yeux fondus, nos poignées de poux
et nos espoirs tus un doigt devant la bouche.
Nous aussi avons eu de quoi rêver
des acacias de neige
et des vins et des roses,
des alibis pour vivre et de la démesure.
Notre monde était rouge autrefois, on s’y caressait
beaucoup
et l’air toujours sentait le sucre des marchands de beignets.
Mais c’en est fini et me voici dès lors à tour
de bras
blessé dans un trou d’herbes noires.
Roger Wallet, Ça ressemble à une vie
bonjour tristesse le titre qui lui a plu il ne connaît
pas l’auteur mis à part du passé il ne connaît
pas d’auteur saint-ex bien sûr comme tout le
monde et puis l’aîné l’a offert à son
frère…
il l’a dans un coin de l’atelier adieu tristesse
/ bon-
jour tristesse / tu es inscrite dans les lignes du pla-
fond / tu es inscrite dans les yeux que j’aime…
ému les yeux que j’aime cette voix…
c’est comme si c’était elle qui lui parlait
et il le relit
le sait vite par cœur le poème de p.éluard
au
début
je vous le rapporte je il se sent gauche. je l’ai lu.
un silence. c’est très… il se tait
elle est debout elle le regarde
aurait pas dû venir c’est trop… compliqué ?
prenez-en un autre elle sourit. lui : le cœur qui
bat comme un fou là-dedans la main tremble
elle doit le voir [il pense]. s’approche de la
bibliothèque la dévisage les yeux le nez la bouche
– le mot rien que le mot le fait frissonner –
vous…
rien d’autre. tourne le dos s’excuse
il sent sa main sur sa nuque
ses yeux sa bouche
Cécile Odartchenko, À l’ami
Moreu
« le dit renaît »
Tu marches peu,
mais tu marches quand même dans le labyrinthe de ton jardin.
À terre, les pierres plates,
les creux et les bosses
qu’avec le temps
ont façonnés les poids des corps
se mesurant à la résistance des chemins.
Tu sais la terre,
tu sais la pierre, tu sais la craie et le gravier
et chaque racine qui prend le sable dans son bouquet
et le tient en place.
Tu connais le buis et le rosier,
les bordures, les touffes,
les feuilles douces, les feuilles lisses,
les piquants, les épines, les orties.
Tu es l’ami
de celui dont le visage plein de rides
est une campagne à lui tout seul
ou dont la main est plus rugueuse que la patte de l’éléphant
pour avoir tenu les outils de jardin depuis des millénaires,
vieux visages, vielles mains,
corps usés, rétamés,
de corne et de peau, plissés.
Arnaud Duchemin, Fragments
Le désir crée
l’éclat
premier sang.
Désir des lèvres
brûlées d’alcool
au long souffle.
Nuits intérieures
où le froid arpente
le secret des os.
André Bay, Dérives blanches
En « avant-propos »
Le Blanc m’obsède
Le Blanc me tourmente
Le Blanc me poursuit, m’aveugle
Couleur des limbes crépusculaires
Suaire des résurrections mortes
Compagnon des crépuscules du soir et du matin
Candidat de blanc vêtu
Blanc qui es-tu ?
Mort poursuivant la vie
Vie poursuivant la mort
Rideau de ma vie morte
Jour tissé de nuit
Blanc de l’amour ici
Et de la mort Là-bas
Blanc de l’absence remplie de vide
Complice du temps qui passe
Le Blanc m’envahit doucement
Et irrésistiblement m’entraîne
Devant la Grande Porte.
Tandis qu’il me pousse et m’attire
Je le distingue partout
Il apparaît là où je ne le voyais pas
Il me poursuit et je le traque…
Avec espoir de mieux le comprendre
Doux compagnon de mes vieux jours…
Pierre Garnier, Heureux les oiseaux, ils vont avec la
lumière
ce sont orthographes nouvelles :
abeille s’écrit abeil
soleil s’écrit soleille
les abeils habitent les abbayes
les soleilles sont désormais des sources
le féminin s’empare du soleille
le masculin s’empare de l’abeil
pendant cet instant la route de la mort
est barrée
l’abeil, la soleille
c’est la meilleure orthographe
apesant
le poète modifie le monde
la pomme devient poème
l’abeille courte devient abeil
les abeils et les soleilles se rapprochent
du presbytère
on y voit plus clair quand le poète
fait son orthographe
les abeils semblables à la lumière
et aux dentels –
les abeils, les abbés, les abbayes
proches maintenant
de la soleille
l’enfant regard’ le mur de l’écol’
par où passent triangles, losanges et sphères –
ainsi les papillons, les abeil’, les libellules –
le Vieil homme ne perd rien en perdant la vie
– il a atteint la cielle et l’abeil
Pierre Tréfois, Tableaux de l’inconstance
des anges
« cloaque aux nymphéas »
Philautie farde son miroir.
Si elle tombe à court
de rouge à lèvres,
elle vient alors s’y aimer,
coquelicot neuf,
au sortir
d’un bain de silex.
« tableaux de l’inconstance des anges »
S’agissant de nos silhouettes – et de leurs
louches épines dorsales – nous ne cessons
de les égrener dans la furie des foules.
Passable liberté, ronflants axiomes face à
soi-même, ce déni d’improvisation.
« la nonchalance »
Entrés en nonchalance comme dans le
noyau de la saveur, comme si l’œil nu
mimait la pesanteur – au seul vif de l’être.
Louis-François Delisse, De la mort du lion
– Veux-tu ses griffes plantées dans
tes vertèbres, veux-tu de la saillie
du monstre ? Fils, rentre !
– Père, j’irai marcher lion sur le sentier
de lumière. Père, j’irai armé de ma
seule douceur sur le sentier de guerre.
La peur qu’aura le lion de moi
lui fera rentrer sa tête sous sa
queue. Père, la lumière m’a appelé,
père, j’irai. Puis se sont dépeuplées
les mégapoles, puis les H.L.M. sont
devenues leurs propres ossuaires,
puis la ville s’est rebâtie, pénétrée
de campagne, épousée de campagne
claire. Pendant que le lion était
jeté à la décharge avec sa peau
pelée, son impuissance révélée.
Le roi des Casinos, le roi des
Holdings n’est plus. Il y a vacance
de pouvoir, le ciel n’est plus noir,
la lune est au ciel tranche d’orange,
la lune est licorne au ciel,
le jour brille ! Son sabot luit.
François Huglo, Le corps fabuleux
du vin
« Les mots du vin »
Les oenophiles sont de grands malades, des maniaques, des pervers.
Les odeurs de fruits, de fleurs, qu’ils peuvent trouver
toute fraîches, pleines, évidentes, sur les étals
du marché, leur feront à peine lever le nez. Mais
qu’ils décèlent laborieusement dans un verre
quelques traces de similitudes avec ces parfums que l’on
croise tous les jours et c’est l’extase : ils reparleront
plusieurs années plus tard de ces bouteilles pour lesquelles
ils vendraient leurs meubles, et dont il ne reste rien.
Les oenophiles sont, en effet, des proustiens qui s’ignorent.
Ils travaillent leur mémoire à chaque olfaction
pour y faire fleurir quelques formulations descriptives ou déductives,
strictement métaphoriques. Parler du style du vin, de
sa personnalité, énumérer ses arômes
en nommant une foule de choses qui n’ont pu entrer dans
sa composition, est-ce pour eux un abus de langage, une manière
de suppléer la pauvreté du vocabulaire en termes
qui désigneraient précisément la sensation
? Non. L’analyse physico-chimique permet de quantifier
la turbidité d’un vin, son indice de souplesse,
son extrait sec, son acidité totale, fixe et volatile,
sa teneur en soufre libre et combiné, sa teneur en sucres,
en alcool, et les principaux éléments qui participent à son
bouquet. Et si le praticien qui connaît ces données
les oublie pendant la dégustation, ne voyez pas là l’effet
d’un souci publicitaire. La passion pour le vin, qui est à la
fois « invitation au voyage » et « le temps
retrouvé », est essentiellement une passion pour
la métaphore.
Cette passion commence en effet dès le jour où l’on écoute,
où l’on entend le vin, et il ne parle pas autrement.
Son orgueil n’est pas celui, hâbleur, d’un
alcoolique, mais, taciturne, celui d’un alchimiste qui
ne cesse de faire miroiter la pierre philosophale : il la détient,
ne la livre pas facilement, la retire vite… Il prétend
tout savoir du monde et de nous-mêmes et le prouve.
Ne nous étonnons pas si parmi ses plus fervents disciples
nous trouvons Baudelaire et Pasteur sur le même banc. Ils
ne se regardent pas en chiens de faïence : plus près
de nous, l’héritier de Pasteur, de Ribéreau-Gayon
et des pères de l’oenologie moderne, Émile
Peynaud, étudie de très près la manière
de sentir mais aussi de dire « goût du vin »,
et n’hésite pas à parler d’ « œuvre
d’art » plutôt que de domaine toujours ouvert
aux investigations des scientifiques, ce qu’il ne néglige
pas non plus.
Michel Pierre, L’enfer vaut l’endroit
« Un seul mot »
À l’intérieur d’un seul mot vous ne
respirez plus. La phrase vous laisse l’oxygène indispensable
pour en revenir à l’idée, elle-même
ombre du paradoxe qui retenait vos poings liés à la
page blanche. Sinon des animaux sauvages s’emparent de
votre délire. Vous parcourez toutes les savanes, remontez
les déluges, appliquez à votre mémoire le
vide circonstancié qui aspire faits et gestes anciens,
lesquels couturent votre calotte ou, si vous préférez,
votre bonnet d’enfance. Suffirait de bégayer dans
l’oreille d’un imbécile qui vous prend illico
pour un fieffé poète. Alors, ce qui doit être
dit, laissez-le raconter par le plus prestigieux d’entre
nous, celui dont la panse est couverte de médailles surannées,
triste devant la connaissance qui rend obèse, aspire l’inspiration,
asphyxie les phénomènes grammaticaux, l’ensemble
prêt à rendre les ours comestibles. Bref, souriez
sans réfléchir. Toute bulle vous conduit au firmament
de l’impossible. Vos voisins sont des bâtisseurs
et déjà vous n’apercevez plus la mer qui
gronde, ignorez la torpeur des marais, n’entretenez plus
le geste qui sauve et que, pourtant, vous avez déniché dans
le bréviaire sacré de votre solitude. Et ce livre, écrit à l’intérieur
d’un seul mot, ne sera jamais ouvert à la page de
la moindre illumination.
Michel Butor, Octogénaire, dessins de Grégory
Masurovsky
Hargne méthodique
« Techo »
L’exaspération des faubourgs
traîne dans les supermarchés
sous les tabliers d’autoroutes
sur les ponts enjambant les gares
de triage où les vieux wagons
entrechoquent leurs explosifs
tandis que trains à deux étages
dégorgent foules harassées
La télé nous montre les bourses
qui grimpent et dégringolent
entrelardant les feuilletons
et l’on voit s’amasser fortunes
pour quelques-uns mais pas pour nous
sauf si l’on devient des vedettes
dans les projecteurs tournoyant
à travers la fumée des drogues
Transformer la rage en syllabes
apprivoiser la mort qui rôde
dans nos couteaux et nos seringues
bazookas et kalachnikovs
que nous présentent les infos
dompter le fauve qui nous hante
dans une grille qui transforme
en moire nos sombres rayures
Arracher aux marteaux-piqueurs
les décibels qu’ils assènent
pour forer dans les coffres-forts
de béton où l’on nous enferme
le souterrain libérateur
qui nous fasse accéder enfin
aux champs de neige aux longues plages
où surfer l’alcool de l’amour
Nicholas Mandelbaum, L’indéniable
influence du milieu sur les bords
« j’ungle »
L’intrigue sera sexuelle sera téléphonée
et les questions seront ouvertes. Le sexe sera tendre et dure,
l’hermaphrodite sera aphrodisiaque et il mènera
une danse démesurée à la hauteur de nos
cœurs, et nous écrirons des choses sensées.
La sensibilité et la lucidité vous crèveront
les yeux, dans les yeux, il sera trop tard, un léger retard,
la fumée sera compacte et dansera.
Les fils électriques se perdront sous les perdrix.
Les avantages seront d’avant-l’âge où l’on
s’usait à de douces caresses buccales. La lucidité nous
crèvera les yeux, la sensibilité nous fera voir,
dans le noir, les erreurs des légères heures que
nous portions à nos poitrines comme un refus de la vie.
Le ventre vide comme une grotte, que les étoiles éteintes
contemplent sera caressé dans le sens du poil. Et les âmes
velues chanteront dans la nuit.
Je suis un chat, je vous aperçois déjà.
Raymond Farina, Une colombe une autre
« De mémoire d’oiseau »
Ton gris te va à merveille
surtout quand vient le spleen du ciel
quand tu te poses sur l’ardoise
que l’averse vient d’effacer
Au milieu du grand tintamarre
tu hasardes ta cantilène
comme un infime flux sphygmique
dans l’énorme corps de la ville
À l’instant où les nappes claquent
tu as vite fait la synthèse
des miettes qu’on éparpille
avant de rejoindre les tiens
qui tout en s’ébrouant s’enfoncent
avec un discret enthousiasme
dans leur douce orgie de poussières
dans leur minuscule désert
qu’ils signeront de quelques plumes
d’empreintes à peine visibles
Jean-Michel Bongiraud, Abeille(s)
La transfusion des spirales est aléatoire
Et les mathématiques sont un chef-d’œuvre
hypnotisant.
Tout jargon contredit l’univers et les sens.
Ce qui se cristallise sur mon palais
Ces miroirs qui ne parlent pas
La face contre l’écorce nul ne règle le compas
!
Je dis une histoire une source mal écoulée
Un feu qui s’éteint au fond de nous.
L’abeille a-t-elle un buste semblable au mien ?
L’aube ne sera jamais nouvelle
Et les hommes ont rempli leur brouette de machines.
Je lance un ultime pavé.
Un cerceau au loin tombe dans le ravin.
Michel Valprémy, Cédille au ciel
Ciel, son nom, sa petite musique, sa motte.
Est-ce un baba sec ? un civet ? un bon gros chou
de par chez nous (bleu baptême, bleu layette, bleu
garçon) ? est-ce une gousse de gaz, un ventre, un
lampion de frairie, une vessie géante ? est-ce
une loupe, un édredon ? la voile ronde d’une
frégate ? ou l’haleine des anges, leur diarrhée
?
est-ce l’écharpe d’un dieu dandy, le long
tulle
d’Isis ? est-ce le bout tout au bout du bout du
tunnel, ou l’entrée, la porte miraculeuse ? est-ce
pulpe, est-ce peau ? est-ce l’Afrique ? une vague
envolée (tout le vestiaire) ? est-ce un puits sans
écho, un œuf, une éternelle plaie ?
Ada Bessomo, Bémols saugrenus
Chaque timbre tout
d’abord sourd
bourru ensuite nous a rapprochés
de loin bien sûr
Tu as juré
que tout serait désormais
la conjonctive de l’œil avec
la langue sans que jamais plus
nos chairs cèdent aux cris
Pierre Garnier - Jean-Louis Rambour, Ce monde qui était
deux
Chacun portait sa croix, laissait sa croix,
la table était couverte de fenêtres qui donnaient
sur d’autres parties du monde –
l’idée que se faisait du monde l’escargot
n’était pas la même que celle d’une
huître
« autant de coquilles, autant de monde », pensait l’enfant.
nous, les enfants de la guerre, quand nous
écrivions un poème
c’était avec le compas,
nous enfoncions la pointe sèche dans la chair,
et la mine douce, dont nous pouvions effacer le
trait,
faisait la carte du ciel où elle ne marquait que
les étoiles
nous, les enfants de la guerre, nous avons vécu
en papillons
pour échapper aux bombes le mieux était encore
d’être papillon,
et nous laissions notre écriture en grandes
taches blanches sur les feuilles
notre écriture était de nature
celle du poème
qui est vague feuille fleur grenouille,
notre écriture se déposait :
écailles des ailes de papillon et pollen
quand nous écrivions le poème sur une feuille,
ce que nous marquions c’étaient nos doigts,
notre main, notre poing,
c’était ce point acéré, dur, aigu,
percé
qui marquait le centre du monde
nous, les enfants de la guerre, avons échangé
l’homme et sa mort
contre la vie des moules et des huîtres
et nous sommes restés dans la mer
notre écriture, ce fut longtemps de la craie sur les
doigts
Pierre Garnier
C’est fou ce que l’écriture a disparu. Et
les poètes.
Mais s’agissant d’eux, rien de moins grave.
Le mal était insidieux.
Les nuages ne manquaient pas : ceux
à formes noires, oui, de chauves-souris,
ou de cavaliers saisis d’épouvante, ou
de ces monstres qui tuent d’un seul rejet d’haleine,
ou de robes lourdes d’un velours cérémoniel,
car j’en ai connu
de tels velours qui sentaient bon
le feu de bois et une pipée de tabac, et j’en ai
vu
de ces nuages qui sont des messes,
des chroniques de la fin, des symboles inversés,
des sorcières étranges, des rebelles, et des, et
des.
Tant vu et tant vu, en si peu de voyages
À peine ai-je remonté le fleuve, une somme
de seaux de sang, à peine ai-je levé le bras, et
pourtant
le mal s’est insinué, il a soufflé sur la
porte de la chambre
et fait flotter le joli foulard indien
qu’on y avait accroché et qui jamais
ne s’était lavé de ton odeur :
il est donc entré. Je me souviens,
on m’avait dit Ne vous inquiétez pas,
c’est une salle de jeu, la vie.
Ces quilles, ici, sont debout pour l’éternité,
oui
on me l’avait affirmé. Or, à peine ai-je
fait un pas
que le monde entier et ses plafonds crémeux s’est évaporé
en un petit bruit de bouée que l’on crève.
Et les guerres,
les guerres toujours. Les corbeaux qui tombent des soutes.
Jean-Louis Rambour
Et tu vas parcourant les regards
Tu appelles des chants et des départs
Rêvés Rêvés
Pour l'hiver
Rêvés pour les nuits
Pour l'herbe qui repart
Devant le chien couchant qui guette des caresses
Appelant les yeux fous gémissant sa tendresse
Laissant l'effroi joyeux sous la main de la messe
Et tu pars te figurant les foules
Saisir au feu du jour une extase nouvelle
Trouver l'élan de bielle
Le rythme sûr à ta cadence trop belle
trop fier, gonflé de signes
Tête levée au ciel, sifflant la rengaine
Promener au soleil une neuve passion
Jean Jallerat
L'amant
Si je saute, si par mégarde le mot
Me précipite en deçà des langues
Touchant le fond muet, merveilleux
Qui déjà parle
La passion de colombes en feu
Ramage apostolique des fenêtres
Tes yeux , lampes joyeuses, lis-moi
Hérault du sans appel, enseveli
Dessous les mots amoncelés, ravage
Est l'homme qui n'a pas su l'amour
Philppe Lekeuche