Une critique de Jacques Demarq pour le cahier critique de poésie
(CIPM de Marseille)
Garnier, chacun sait, est avec sa femme Ilse le promoteur du
spatialisme, entre poésie concrète et visuelle.
Spatial : il y avait d'entrée beaucoup de ciel, dont les
oiseaux. Picard, Garnier est aussi l'auteur de nombreux poèmes
traditionnels sur son pays, dont les oiseaux. Il est bon qu'un
poète soit pluriel, et insistant. Ce livre est du deuxième
type. Le vieil homme, au gré des souvenirs d'enfance,
y livre sa vision du monde : où les "abeils" tracent "la
soleille" ( " on y voit plus clair quand le poète
/ fait son orthographe" ), les oiseaux sont des croix, les
quartiers de bœuf des Christ ( "pourquoi le boucher
n'est-il pas prêtre ? "), l'huître "bleue,
verte et grise " une Vierge Marie, etc… On sent la
peinture classique, mais aussi le spatialisme: "l'institutrice
fait un cercle, / met un point au centre : / le zéro est
fécondé". Heureux les poètes qui plient
le monde à leur grammaire : ils tuent la mort des signes.
Jacques Demarq
Une critique de Jean-Louis Rambour
Le titre est trompeur. Le livre de Garnier n’est pas un
poème sur les oiseaux. Certes, « les oiseaux
(y) volent en croix », habiles qu’ils sont à donner
mouvement à la croix du Christ sur fond de ciel. Mais
c’est de l’ensemble des êtres qu’il est
ici question, c’est d’une arche de Noé que
descendent les personnages. Du côté des hommes il
y a l’enfant, la grand’mère, la fermière,
les paysans, l’instituteur et le facteur, l’institutrice
et le jardinier, le vieil homme, la cousine et Napoléon.
Et puis « je » qui entre en classe pour
s’interroger sur « le zéro du monde ».
Et puis encore le père du poète qui « sort
une lumière » de l’eau. Du côté des
animaux (mais la distinction est-elle judicieuse ?), il
y a les anguilles, les papillons, les araignées, les chevaux
(dont les boulonnais), le canari, le chardonneret, les étourneaux
qui « chantent un beau motet », l’escargot,
l’épinoche, les grenouilles, les abeilles, un petit
chien qui sourit, la chèvre au lait rond, l’huître
qui aura le dernier mot en annonçant la mort de la mort.
Et à tous ces êtres, il faut encore ajouter Lafleur
et Sandrine, les cabotans, les « marionnettes sur
la terre comme au ciel », qui parlent le picard, « la
langue des petites gens », ce qui, dans l’univers
de Pierre Garnier, leur fait un point commun avec les oiseaux
et les étoiles ; ajouter enfin la cathédrale,
la « cathédrale paysanne, poissonnière,
hortillonne » qui « avance poussée
par une perche » et « navigue dans le temps ».
Une arche de Noé donc, qui donne à ce poème
une allure de deuxième Genèse. La cathédrale
y franchit « la porte romane du big-bang » et
une lapine « se souvient avoir vu la création
du monde ». Alors qu’ « on ne les
voyait plus », « on voit à nouveau
les fils de la Vierge, « le ciel à nouveau
est aube de communiante / on entend à nouveau des
chœurs / il y a à nouveau des merveilles ». « Le
temps qu’on avait perdu est revenu », « le
soleil à nouveau se lève sur les abeilles » :
c’est la re-création du monde, « l’éternité est
partout ». Et alors, alors « ce sont messages
du soleil », « ce sont nouvelles de l’histoire,[…]
nouvelles de campagne, […] de la lumière, […]
des étoiles, […] de saint François, de Pentecôte.
Oui, un monde nouveau où tous les accouplements sont possibles : « chevreuils
et bleuets », huître et fleurs, soleil et poème,
cheval et cathédrale, le jaune et le bleu et même
l’étoile rouge et les Evangiles.
A ce monde nouveau, il faut une langue nouvelle, une qui serait
une union des « langages des oiseaux et des saints »,
celle de saint François ou de saint Jean l’évangéliste
qui, plagiant Garnier, a affirmé « que le poème
est apparu avant le monde ». Alors, « ce
sont orthographes nouvelles » et le soleil (qui dans
le poème est Dieu, est hostie, est galette des rois) et
l’abeille changent de genre : « le féminin
s’empare du soleille / le masculin s’empare de l’abeil », « la
pomme devient poème » et le Vieil homme « atteint
la cielle ». « On y voit plus clair quand
le poète fait son orthographe ». Et la clarté,
la lumière, sont le message essentiel de ce poème.
Sous sa couverture où « blé et bleuet
(que traverse le vanneau blanc) vivent et meurent ensemble »,
il illumine, il est « cette autre lumière :
la lumière du poème ».
Jean-Louis Rambour
Garnier, chacun sait, est avec sa femme Ilse
le promoteur du spatialisme, entre poésie concrète
et visuelle. Spatial : il y avait d'entrée beaucoup
de ciel, dont les oiseaux. Picard, Garnier est aussi l'auteur
de nombreux poèmes traditionnels sur son pays, dont
les oiseaux. Il est bon qu'un poète soit pluriel, et
insistant. Ce livre est du deuxième type. Le vieil homme,
au gré des souvenirs d'enfance, y livre sa vision du
monde : où les "abeils" tracent "la soleille" ( " on
y voit plus clair quand le poète / fait son orthographe" ),
les oiseaux sont des croix, les quartiers de bœuf des
Christ ( "pourquoi le boucher n'est-il pas prêtre
? "), l'huître "bleue, verte et grise " une
Vierge Marie, etc… On sent la peinture classique, mais
aussi le spatialisme: "l'institutrice fait un cercle,
/ met un point au centre : / le zéro est fécondé".
Heureux les poètes qui plient le monde à leur
grammaire : ils tuent la mort des signes.
Jacques Demarq
pour le cahier critique de poésie (CIPM
de Marseille).