ÉDITIONS
DES VANNEAUX

Retour à l'accueil

Retour aux ouvrages

 

 

 

 

Le corps fabuleux du vin

Une critique de Guy Ferdinande

Le corps fabuleux du vin

Du rêve manifeste de "faire naître la poésie" du vin, exprimé par Baudelaire dans L'Âme du vin et dans Du vin  et du haschich, François Huglo tire, on peut dire sublimé, un parti-pris poétique. C'est que chez Baudelaire le vin était fait pour être bu et procurer l'ivresse - c'était un moyen (qui d'ailleurs chez lui n'occasionna aucun abus) - , tandis que chez François Huglo, fait pour être dégusté, il devient une quintessence dont il est du seul ressort de la langue de formuler les propriétés. "Les premiers "regards familiers" qui observent le dégustateurs sont ceux des pierres précieuses, ce monde minéral élevé  par le joailler à la hauteur - perverse, elle aussi - d'un univers esthétique et symbolique. Ce vocabulaire permet d'apprécier la limpidité ( brillant, clair, cristallin, fin, opalescent, opalin) la vivacité de la couleur (lumineuse, éclatante, chatoyante, scintillante) et sa nuance (topaze, topaze brûlée, or pâle, or fin, vieil or, or rouge, amblé, rubis, rubis brûlé,  grenat, vermeil). Il n'est pas exclusif: jonquille, châtain, abricot, saumon, café font appel à d'autres registres. Mais ces comparaisons sans lesquelles le vin n'est rien sont symptomatiques de son désir d'être tout: le secret minéral de la terre, le travail qui sut l'affirmer, le langage affiné par ce travail".En bon matérialiste qu'il est, François Huglo tire le vin de la léthargie usuelle  que lui imposent les rayons des supermarchés et le rend au mythe pour le bonheur des épicuriens.

Guy Ferdinande
Comme un terrier dans l'igloo... dans la dune,
joyeuse marotte infraréaliste n°82
67, rue de l'église
F-59840 Lompret
(0 33)320 08 92 45


Une critique de Jean-Louis Rambour

Voici donc le fameux " recueil vineux " de François Huglo.
A nous maintenant de suivre le poète dans sa mythologie, dans la création de son monde, dans l¹interprétation qu'il fait de celui des autres.
Bien évidemment, parlant du vin, il exploite à loisir le sacré mais avec ce qu¹il faut d'humour quand la référence au christianisme est flagrante. Ainsi le Christ devient-il poète et ses disciples crient-ils au miracle. " Avant moi la vigne, après moi le vin ", fait-il dire au vigneron doux violeur à propos de l'Eve de la cathédrale d'Autun. Et Dieu sait si elle est une bien belle " barrique " tout de même, cette cathédrale d'Autun aux voûtes romanes ! Et quelle belle image aussi que celle du " verre devenu Graal de la terre et des hommes " ! Quant à " Adam serré dans sa pomme ", il joue toujours les seconds rôles, le malheureux.
Vin sacré donc, puis vin langage. Avec sur le thème de multiples images dont celle marquante du " noir solaire, éclatant, de l¹encre " qui reprend en chiasme le " soleil noir " du Gérard de Nerval de l¹autre côté du miroir. " Ecrire, c'est déguster " et boire revient chez François Huglo à " une bouchée de mots ". Boire, c¹est écrire blanc sur noir puisque sur " la surface du vin, page noire ", viennent s¹inscrire les " filaments salivés ", la pituite des alcooliques, et qu'un cep est " une journée de lecture en lui-même ". Boire le vin, c'est écrire et c'est parler, dans le respect de la belle gymnastique articulatoire que propose le poète, selon que l¹on a affaire à " un vin facial " ou à un " vin guttural ".
Le vin est aussi un " corps, fabuleux " comme il est dit dès le titre. Un corps extraordinaire et de légende, d¹Hermès et d'Aphrodite à la fois s'il s¹agit du Saint Emilion. Et c'est là une des choses qui fascine le plus : cette sexualisation du vin. Quelle science en a François Huglo pour déterminer que les Pauillac et Saint Estèphe sont des mâles et les Margaux des " fées  affriolantes " ? " Corps fabuleux " puisque corps et âme, indissociables, l'un par l'autre, dans l'autre : " sur la matière sexuée plane et oscille l'esprit du vin ", écrit-il ; " l'âme du vin, c'est son corps " et, un peu plus loin il insiste : c'est le " fond du fond du corps ".
Corps et âme, donc. Autrement dit " le désir d'être tout : le secret minéral de la terre, le travail qui sut l'affirmer, le langage affiné par ce travail " ; " la nomenclature boit la nomenclature ". Et avec François Huglo, le vin contient en effet tous les possibles : il est " la pierre philosophale ", " le pain du ciel " ; " le vin est une photographie " et son bouchon le rideau du diaphragme ; " le vin est une polyphonie " et il concurrence Homère dans sa poésie et sa jeunesse.
" Vins de plaisir(s), vins de jouissance " encore. Avec dans " le saint des saints " (tant pis pour les sacrés Chrétiens), des " orgasmes en chaîne ". Vive " l'érotisme acide " ! Et il est alors question de fouiller les entrailles, il est question de bouche vaginale. Il est question de " jardin de chair ", à quoi s¹ajoutent la bonne chère de " la tripe chaude " (Rabelais, en maître de la dive, n'est-il pas cité quelque part ?) et " le  placenta vineux qui déborde des bottes ".
Et puis (mais la succession de ces remarques ne prend pas en compte l¹ordre des pages), il y a ce qui est peut-être le plus difficile à définir : il y a la part des sens. Ce que François Huglo dit de l'odorat (" hermaphrodite comme le vin "), du nez qui " dispute à l'oeil, à l'oreille, le privilège d'être architecte " ; ce qu¹il dit de l'ouïe qui " devient le modèle des quatre autres sens ", lesquels alors " accèdent à la musique, à l'entendement ", tout cela touche parce qu¹on a l'impression de découvrir pour la première fois la pertinence d'un tel discours.
Enfin, il y a les jeux avec les mots. Musique et entendement, je viens de le dire. Ou encore déguster chez le dentiste. " Buvez tous la tasse " et " mettez mon coeur en perce ", dit le Christ poète. Comme si François Huglo savait de quoi il retourne quand on vous ouvre le coeur. Et l'âme.

Jean-Louis Rambour


François Huglo propose une petite anthologie d'oenologie poétique, ce qui est assez rare pour le signaler. Il rassemble des textes écrits sur une quinzaine d'années et publiés ici et là, avec comme thème central : le vin. Il réussit à fondre ensemble l'analyse sensorielle, très affinée du goûteur qui sait à merveille, expérimenter ses sens visuels, olfactifs, gustatifs et la maîtrise du langage plus propre au poète. C'est donc fort de ces deux génies, qui s'amalgament dans le mot langue, qu'il nous parle du vin dans toutes ses dimensions et lui procure l'image du corps, pour bien indiquer sa propension à dépasser son simple aspect liquide sa couleur, ses arômes pour créer tout un monde inattendu que seule la poésie peut endosser. François Huglo, grâce à un vocabulaire étendu et raffiné et à ses connaissances des crus, donne à son traité pour amateur de Bourgogne et de Bordeaux le supplément poétique capable d'émoustiller nos papilles buccales et mentales. Huglo, c'est Hugo plus une aile.

Jacques MORIN Décharge n°129