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Pierre Peuchmaurd

Pierre Peuchmaurd, Laurent Albarracin.

Pierre Peuchmaurd (1948-2009) est le plus jeune des poètes dont la solide « présence » s’affirme, dans une collection où il côtoie désormais Louis-François Delisse (le plus proche, lui aussi présenté par Laurent Albarracin), Werner Lambersy, Pierre Garnier, Pierre Dhainaut, Jean Malrieu, Gaston Puel, Serge Wellens, et Jean Rousselot, autour d’une table ronde où l’on se moque des modes. Il appartient à une génération dont l’adolescence s’est jetée dans la mer éphémère de mai 68, et, déçue d’en sortir si vite, a tenté de sauver quelques grains de sel. Mais le « gauchiste » dessiné par Cabu suite à sa participation à l’émission « l’avocat du diable » ne fut pas un agitateur politique. Poétique, plutôt. Né dans le « milieu » de la radio, du journalisme littéraire et de la critique d’art, il lit et croise très tôt les surréalistes. La rencontre d’André Breton illumine ses seize ans. Filiation en amont. Une autre, en aval ? La poétique de Peuchmaurd semble amorcer celle d’Albarracin, qui aiguisera ses réflexions sur l’image, l’analogie, la tautologie.

Un cahier de photos se souvient d’une diaspora néo-surréaliste dont les visages ―Anne Marbrun, Yves Nadal, François Leperlier, Jimmy Gladiator, Esther Moïsa, Anne-Marie Beeckman, Alice Massénat, Alain Joubert, Jean-Pierre Paraggio, Laurent Albarracin, Jean-Yves Bériou― sont attachés à des lieux, à des maisons. Mais les ports d’attache (d’utopie pourtant), plus ports que supports, où fut tenté de démentir le mot du vieux pote Léo Ferré « la pensée mise en commun est une pensée commune », furent les revues et maisons d’édition. Si, pour Maurice Blanchard à qui Peuchmaurd a consacré un ouvrage chez Seghers, « la poésie est une propriété de la matière », l’édition est pour lui une « propriété de la poésie », quand elle s’affranchit par souci de « pureté » des grandes structures qui se détournaient d’elle « par souci de rentabilité ». On a pu appeler « revuisme » cet ensemble d’archipels couplant souvent le livre, plaquette agrafée ou feuillet plié, à la revue, où l’île Myrddin (Pierre Peuchmaurd) échange, « notamment sous la forme de diffusion réciproque », avec ses voisines : l’Atelier de l’Agneau (Françoise Favretto), Camouflage (Jimmy Gladiator), Haldernablou (François Maurin), la Morale merveilleuse (Anne-Marie Beeckman), Wigwam (Jacques Josse), etc. Toute une histoire, un peu la nôtre, qui suit les « repères biographiques », en fin d’ouvrage.

Mais venons-en au début, où Laurent Albarracin salue en Pierre Peuchmaurd un « témoin élégant ». La formule dit bien la distance, où certain humour peut venir se loger, qu’implique le sens, presque exclusif, de la vue quand elle n’est pas, comme chez Izoard qu’apprécie vivement Peuchmaurd, l’avant-poste du toucher. La vue constate, prend note, enregistre, mémorise, saisit, est saisie, au vol qu’elle suspend. La poésie selon Peuchmaurd ne fait rien, elle est. Pourtant, comme la fée d’un coup de baguette, elle fait apparaître. « Il y a un autre monde, vous savez : il est ici et ne demande qu’à apparaître ». Albarracin parle d’un « réalisme magique ou réalisme merveilleux ». Les mots « font saisir une réalité comme nimbée d’elle-même ». La tautologie n’est pas loin. Les bêtes chères à Peuchmaurd « ne désignent qu’elles-mêmes, ne renvoient pas à l’homme ». Certains lieux « se mettent à parler d’eux-mêmes ». Peuchmaurd ajoute : « et ―je l’espère, je veux le croire― pour eux-mêmes ». Et c’est « par le moyen de l’analogie » que la matière a la propriété « de se dire, de procéder à sa propre investigation en même temps qu’à son anticipation ». Ces lignes pourraient être co-signées Peuchmaurd-Albarracin !

C’est par la vue, en fixant le sol au cours de ses marches, que Peuchmaurd obtient une désorientation qu’il ne cesse d’appeler de ses vœux, comme première étape du « dérèglement systématique », et prélude à « l’amour fou » qui fait d’un être « l’aimant et l’aiguille à la fois de toute réalité ». Boussole affolée ? Liens du sang, dans le regard où s’échangent le prédateur et la proie : « l’ange cannibale dévore des yeux, dévore les yeux ». Liens du sang entre l’ange et la bête, entre innocence et violence. La vue met le sang à la bouche, une boucherie de mots. « C’est dans sa bouche, mâchant, / que les mots de la chair deviennent la chair des mots ». Voilà « l’ordinaire boucherie », où « l’ombre d’un ange » est « très facile à suivre, il y a du sang partout ». Ainsi au Moyen Âge des « grands singes qui n’avaient pas de nom » venaient « sentir la chair et mâcher Dieu ». Alors « les voûtes menaient aux charniers / et les charniers dans les vergers ».

Animale, la passion qui anime Pierre Peuchmaurd l’est aussi dans sa défense farouche, violente, d’un territoire supposé pur, contre l’ennemi qui ne l’est pas. Chez lui, la poésie n’est ni philosophique, ni langagière. Le « credo » surréaliste exclut la théorie, cette « manière lente et lourde d’immanquablement rater sa cible », mais aussi « l’espèce d’environnement sonore avec quoi la poésie a tendance à se confondre ces temps-ci », et « la supposée misère du quotidien ». De sa maison commune, de son territoire, la poésie exclut la prose, la littérature, la rhétorique, le style, la manière, « et surtout surtout » elle s’oppose « à toute dérision de la poésie » ―de la tautologique « poésie-poésie » comme disait Valprémy l’espiègle, qu’a publié Myrddin ?― la maison s’isole-t-elle des rires bruyants de Dada ? Ils opposent pourtant, eux aussi, à tous les « ailleurs et demain », « l’espoir révolutionnaire », qui refuse de retomber, de « l’ici et maintenant, l’immanence de notre désir ». Peuchmaurd, enfant, s’est longtemps rêvé lieutenant. Pas un tiède, ce voisin ! Mais s’il l’était, pourrait-on compter sur lui ? Salut, donc, à une substantielle et chaleureuse « présence » !

François HUGLO